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gamal abina
15 mars 2022

Il y a 20 ans jour pour jour, le 15 mars 2002, monsieur Abina Belkacem nous quittait des suites d'une longue maladie.

Belkacem Abina

Il y a 20 ans jour pour jour, le 15 mars 2002, monsieur Abina Belkacem nous quittait des suites d'une longue maladie.  

Quasiment 40 ans jour pour jour après la fin de la guerre d'Algérie, un vendredi matin à 6h, mon père devait rendre son dernier souffle.  

Une longue lutte âpre de 5 années, au cours desquelles il avait démontré comme toute sa vie durant, une combativité extraordinaire face au crabe, qui tentait de le dévorer.  

Toute sa vie durant c'est peu dire.  

Mon père va naître en plein cœur du 20e siècle, au cours de la Seconde Guerre mondiale.  

Tout au long de sa vie, il nous racontera les récits de guerre qu'il aura lui-même subi, avec sa famille pendant la longue guerre d'Algérie. Une adolescence, frappée par les bombardements, les tortures et violences de l'armée coloniale que l'on disait issue d'un pays démocratique, éclairée par des lumières de la première révolution républicaine.  

Une “sale guerre” qui ne dira jamais son nom jusqu'au 11 juin 1999 lorsque l’Assemblé Nationale reconnaîtra enfin le caractère guerrier des “événements d'Algérie”.  

Mon père sera torturé par l'équipe de Jean-Marie Le Pen à Alger, subira les conséquences lourdes des bombardements au napalm qui déformeront les chairs de ses jambes à vie.  

Une guerre qui va lui confisquer deux frères et au cours de laquelle il verra l'assassinat de son propre père par l'armée coloniale, sous les yeux de sa mère, frères et sœurs.  

Au terme de ce conflit sanglant, il sera à nouveau mobilisé sous les drapeaux afin de combattre la “Guerre des Sables”, guerre d'invasion, imposée par Hassan 2 en 1963.  

Là encore, le bruit des bombes et des balles hantera ses nuits. 

Mon père, souvent, nous racontait des histoires sur les drames, mais pas seulement ; sur la solidarité, sur la beauté d'un pays que l'on avait tenté d'effacer, mais surtout les joies de l'Indépendance enfin retrouvée.  

Il nous parlera de son exil douloureux, son arrivée en France dans des conditions d'extrême précarité en 1964, obligé souvent de dormir sous les ponts, sans le moindre dispositif d'accueil, pour des travailleurs que l'on avait fait venir à la suite d’accords entre la France et l'Algérie, afin de nourrir la croissance soutenue des Trente Glorieuses.  

Il connaîtra le racisme, le rejet et la haine des anciens de l'Algérie, des rapatriés et autres revanchards, qui n’avaient jamais accepté la perte de l'Empire Colonial Africain, pour lesquels l’Algérie avait largement été le facteur déclenchant.  

Mon père me racontait les difficultés d'apprivoiser une langue française qui lui était totalement étrangère alors qu'en 1964, il arrivait sans la moindre connaissance de la lecture, de l'écriture et du parler de la langue de Jacques Derrida. Mais une langue pour laquelle il se battra chaque soir où il rejoindra les cours, afin de maîtriser l'outil de son émancipation intellectuelle.  

Il se battra pour créer une entreprise dans le secteur secondaire du bâtiment, pour là aussi devenir indépendant économiquement.  

Mais surtout, il se battra pour fonder une famille, avec des enfants avertis et éclairés à qui il transmettra cette mémoire, refusée par les livres d'Histoire de France.  

Mon père, ce héros comme diraient certains, a été la figure intellectuelle, politique et humaine, qui nous a forgé dans notre identité et notre fierté.  

La maladie qu'il avait contracté par le souffle des sables du désert directement liée aux quatre essais nucléaires en plein air, des bombes atomiques françaises, a fini par se manifester 35 ans après son départ d'Algérie.  

Bien que les médecins ne lui aient donné que six mois à vivre, il n'avait jamais cessé le combat durant cinq ans et il a fini par nous quitter en nous faisant un signe de la main avec un sourire apaisé sur le visage, à l'heure de la première prière des musulmans, un vendredi 15 mars 2002. Vendredi, premier jour de l’Hégire cette année-là, et 40 ans après la fin de la révolution algérienne.  

Point n'est besoin de dire, que sans le courage de ma mère et la forte présence de mon père, je ne serais évidemment pas le dixième de ce que je suis aujourd'hui.  

En ce jour de mémoire, je rends gloire à tous les martyrs de l'Algérie durant les 132 ans de colonisation barbare. Gloire à la mémoire de tous les martyrs qui ont donné leur vie pour éradiquer le racisme et la barbarie coloniale, et gloire à tous ces millions d'Algériens, d'africain et d'asiatique qui ont su lutter pour la dignité et la liberté.  

Mon père n'aura jamais profité de sa retraite, parce que la guerre qu'il a quitté, a fini par le rattraper à l'aube de ses 63 ans. 

Du premier jour jusqu'à aujourd'hui, il continuera toujours à nous manquer.  

Paix à son âme.  

  

Gamal Abina.   

 

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